Je me suis échappée de Téhéran en abandonnant mon vélo chez un de mes hôtes. J'ai fait en bus puis en savari (taxi partagé) un bout de route que j'avais faite à vélo l'an dernier, entre Kashan et Abyaneh.
J'ai revu en passant le grand centre de centrifugation d'uranium de Natanz, mais depuis un taxi sur l'autoroute 7, on voit beaucoup moins bien l'entrée du centre et les nombreuses batteries de lance-missiles sol-air qu' en passant à vélo sur la route 665.
Autres différences induites par le mode de transport : j'ai dû payer un ticket d'entrée pour accéder au village d'Abyaneh, et surtout, cette fois je n'ai pas été contrôlée 4 fois en 20 km avec fouille au dernier point de contrôle.
L'an dernier, mon passage dans cette zone très sensible fut un grand moment de mon voyage. La police m'avait autorisée à passer par cette route 665, à mon grand soulagement, car je n'avais vraiment pas envie de rouler à vélo sur l'autoroute pendant + de 30 km, alors que la route 665 est très tranquille et encore en bon état... Mais le message était clair : sur cette route, pas d'arrêt, pas de GPS, pas de photo. J'avais donc sagement résisté à la tentation de prendre des photos-souvenir des nombreuses batteries de lance-missiles disséminées de part et d'autre de cette ancienne route ; mais j'avoue, je m'étais brièvement arrêtée 3 fois, pour poser ma veste coupe-vent pendant une éclaircie, pour la remettre au passage d'un gros nuage, et pour faire une pause-pipi.
En sortie de zone, lors du dernier des 4 contrôles, un pasdaran (les pasdaran sont les corps d'élite de l'armée iranienne, sous contrôle direct du Guide suprême) avait vérifié que je n'avais pas pris de photos, en visionnant non seulement ce qui était enregistré dans mon appareil-photo numérique, mais aussi le contenu de la carte-mémoire qu'il avait dénichée rapidement en début de fouille, en me demandant où je stockais ma petite réserve d'argent liquide. Je lui ai, naturellement, proposé d'insérer cette carte-mémoire dans mon appareil-photo à la place de celle "en cours" (la 3ème carte mémoire, celle que j'avais planquée depuis mon petit séjour à Ardabil, est passée totalement inaperçue). Il est resté très "professionnel" et courtois tout au long de ce contrôle, ne m'a pas piqué un rial, et ne m'a pas touchée : c'est moi qui lui ouvrais poches et sacoches les unes après les autres. Et finalement, ce contrôle a duré moins longtemps que celui que j'avais passé à l'aéroport de Tel Aviv le jour de mon vol retour pour Genève, il y a une vingtaine d'années.
Abyaneh est un pittoresque village de montagne aux façades en terre rouge, où les vieux du village portent une tenue traditionnelle particulière : robe aux couleurs vives et fichu à fleurs pour les femmes, larges pantalons pattes d'éléphant pour les hommes.
J'ai rendu visite à Sharareh, que j'avais rencontrée l'an dernier. Sharareh et son mari Saeed ont décidé il y a 12 ans de quitter un appartement confortable dans les quartiers nord de Téhéran pour venir élever leurs 2 enfants à l'air pur, dans une vieille maison où il n'y avait initialement même pas l'eau courante.
Le village n'était pas seulement à l'abri de la pollution, il était aussi bien plus calme : les habitants ont toujours refusé, même pendant la période la plus dure de la Révolution Islamique, qu'un poste de police ou une caserne de "Gardiens de la Révolution" (les fameux pasdaran) s'installe à Abyaneh. Le frère de Sharareh, également révolté par la répression à l'égard des femmes et des manifestants, avait quant à lui émigré en Allemagne la même année.
Sharareh et Saeed retourneront habiter Téhéran l'an prochain car leur aîné va entrer au collège. Sharareh constate avec regret qu'Abyaneh se vide progressivement. Le week-end il y a plus de touristes que d'habitants, et il n'y a plus que 19 enfants à l'école du village.